Récits improvisés

429 novembre 2024

Éric Didry metteur en scène

« Il y a dans le vécu quelque chose d’immense, qui demande à être questionné sans cesse », écrit Annie Ernaux dans "Le vrai lieu". Que fait-on de nos expériences passées ? Est-ce qu’on les considère ? Quelle est mon expérience du mensonge ? De la joie ? De la peur ? De la première fois ?

À l’origine de ce travail, où je demande aux acteur·rices de se laisser traverser à nouveau par des événements qui leur sont arrivés et de les raconter, il y a le désir d’affirmer la force des récits. J’ai été intéressé depuis toujours par la manière de raconter de chacun·e et aussi par la place donnée à celles et ceux qui écoutent les récits. 

Je cherche à développer une manière de raconter liée aux possibilités du théâtre. Je m’appuie sur un mode d’écriture qui passe par l’improvisation. Avec le présent de la parole - qui s’invente sur le moment -, le récit se constitue devant nous, l’histoire est en train de se produire. Il n’y a pas simplement ce qui est arrivé mais aussi ce que l’acteur·rice a ressenti, pensé, imaginé. Toutes les dimensions de la mémoire sont convoquées. Dans cette forme de récit, on est comme à l’intérieur de la personne qui raconte.

L’acteur·rice n’est pas là pour montrer mais pour voir. Le corps retraverse physiquement les histoires, figure les situations. C’est le corps et la parole ensemble qui permettent de produire des images chez celles et ceux qui regardent. Les acteur·rices se transforment au cours de leurs récits ou d’un récit à l’autre. Plusieurs âges de la vie passent sur le plateau chez une même personne.

Il ne s’agit pas ici de parler de soi ni de raconter sa vie. Ce qui a lieu, c’est une réappropriation et une transmission de nos expériences. C’est une affirmation de la richesse de celles-ci. Chaque récit est une possible « expédition vers le vrai », expression que Franz Kafka utilise à propos de l’écriture, chaque récit est singulier par sa matière et par sa construction. 

Le théâtre est un formidable espace pour révéler les expériences. La diversité des histoires et des personnes crée une communauté vivante, ancrée dans son temps.

Éric Didry


Eric Didry est metteur en scène. Il se forme auprès de Claude Régy, comme assistant à la mise en scène et comme lecteur pour les Ateliers Contemporains. Depuis son premier spectacle, Boltanski/Interview d’après l’émission de France Culture « Le bon plaisir de Christian Boltanski par Jean Daive », il cherche à élargir le champ théâtral pour réinterroger la place et la perception du spectateur. Avec Récits/Reconstitutions, puis Compositions, il travaille sur la notion de récit et sur la façon dont on peut reconvoquer des expériences vécues sur un plateau de théâtre. 

Il a mis en scène des projets avec Nicolas Bouchaud : La loi du marcheur (entretien avec Serge Daney), Un métier idéal de John Berger, Le Méridien de Paul Celan, Maîtres anciens, comédie de Thomas Bernhard. Un vivant qui passe d’après le film de Claude Lanzmann. 
Il a également mis en scène Qui-Vive puis Dans la peau d’un magicien, spectacles conçus avec le magicien Thierry Collet. Il a collaboré avec les chorégraphes Sylvain Prunenec et Loïc Touzé, le concepteur son Manuel Coursin, avec le metteur en scène et scénographe Simon Gauchet sur L’expérience de l’arbre et La Grande Marée. Il est collaborateur artistique de Clara Hédouin pour son projet Des nouvelles de l’invisible.

Il est membre du collège pédagogique de l’École du tnba.
Il anime régulièrement, en France et à l’étranger, des ateliers de récits avec des acteur·ices et des danseur·euses.